Sam Eagle’s Jazz Review : Leo Parker

Le Blue Monk est un club de jazz pas comme les autres. Il est situé à la frontière du ghetto, et son public est autant blanc que noir - il y a même une paire d’habitués à la gueule franchement pas de chez nous, si vous voyez ce que je veux dire…

C’est que le parton du Monk a compris que l’appréciation de la musique n’a pas de couleur. Des jeunes étudiants qui découvrent le swing les soirs de flirts aux vieux journaleux communistes qui ont pensé faire leur bonne action en s’intéressant à la musique des noirs (et y ont trouvé plus qu’ils n’escomptaient), des ouvriers du quartier qui viennent s’aérer la tête et s’arroser le gosier aux plantureuses négresses qui remuent le cul comme à la revue du Cotton Club, ce qui unit les clients du moine bleu c’est le jazz.

Alors c’est sur, le patron pas beaucoup de pognon, d’ailleurs, sa bière de contrebande et sa gnole des bas-fonds contribuent à vous remuer la tripe avant même que la musique ne commence. Mais en matière de musique, il a un putain de goût sûr. Et même s’il a pas de pognon pour se payer les pointures, il sait te trouver des jeunôts qui n’ont pas à avoir honte de leurs ainés.

L’autre soir, c’était Leo Parker. Un p’tit gars timide du haut de ses 24 piges, cheveux gominés, fine moustache et costard élimé. Quand il est arrivé sur scène avec son instrument presque plus grand que lui, j’me suis dit qu’il allait pas avoir les poumons pour faire fibrer ce truc là. Je me trompais.

A la minute ou il a posé ses lèvres sur le bec de son baryton, c’est nous qui avons été soufflés. Un son magique, chaleureux - du velours - qui tout à coup devient graveleux, du genre qui vous secoue en dedans comme jamais. A l’aise dans tous les registres, du swing endiablé au blues à chialer.

Je sais pas qui étaient les gamins qui l’accompagnaient, mais ils faisaient bien l’affaire. Un autre sax (tenor) contrebasse, batterie et ivoires. Ca, y avait du monde sur la petite scène du Blue Monk.

Après avoir tour à tour secoué et remué le public bariolé pendant plus de deux heures, le jeune Leo a fini par un morceau éponyme, Blue Leo. Un blues lent, mineur, et ce son profond, vibrant, sur un tapis de contrebasse, quelques légers coups de balais et un accord plaqué au piano toutes les minutes. C’est pas souvent que la musique me fait pleurer comme une gamine, mais là je reconnais que je suis sorti vite fait à la fin du concert pour pas passer pour la madeleine de service.

Je vous le dis moi, ce gars la, si la cocaïne le tue pas, on en parlera encore dans 40 ans !

Sam Eagle

 A écouter :

  •  Leo Parker - Let Me Tell You ‘Bout It (Blue Note)

 Une contribution de Benoït “Sammael99″ Felten