“Pearl” - Une nouvelle dans le monde d’Hellywood

Voici une nouvelle présentant l’ambiance d’Heaven Harbor, “Pearl”, qui a d’abord été mise en ligne sur le forum du collectif Ballon-Taxi, où le projet Hellywood a été initié. Il nous a paru intéressant de la republier ici. Bonne lecture !

Pearl

Gueule de bois

La pluie n’en finit pas et les néons de la ville forment un arc en ciel criard sur le goudron mouillé. Les yeux rivés sur le hall du Palazio, je réprime un bâillement. Trois nuits passées à surveiller ce putain d’hôtel pour rednecks. Trois nuits passées sur la banquette de l’Oldsmobile à mastiquer des hamburgers froids, à fumer clope sur clope et à pisser dans une bouteille vide de Medley Cola.

Je vendrais ma mère pour un verre de bourbon. J’ai mal au dos et ma chemise colle à ma peau. Un coup d’œil à ma montre : encore deux heures à tirer avant que le réceptionniste soudoyé par Ray ne prenne la relève. Un coup d’œil dans le rétroviseur : Melvin Osborne a la gueule des grands jours. Je fais plus jeune que mon âge, paraît-il.

Dur à croire.

Je tente de remuer mes jambes et je reprends l’entrée de l’hôtel en visuel. Dans l’hôtel crèche un représentant de commerce, type bouseux des hauts plateaux, convié par sa boîte de vendeurs de bibles à un séminaire à la mord moi le nœud. Trois jours à Heaven Harbor, trois nuits dans la fournaise de la plus in des Forbidden City du pays ! Non content de fourguer des abonnements à vie à des bourgeoises de province, le type est associé dans une affaire d’immobilier tout ce qu’il y a de plus louche. Son partenaire est persuadé de se faire enfler et que notre représentant va profiter de son séjour pour magouiller avec un avocat marron. Résultat : il a payé Ray pour qu’on surveille l’hôtel pendant trois jours et qu’on l’avertisse si le pisse-papier pointe le bout de son nez. Un boulot tellement merdique que Ray a payé le réceptionniste de jour pour qu’il surveille l’employé du mois. Et la nuit, la photo de l’avocat sur les genoux, c’est bibi qui s’y colle. Jusqu’à présent, pour des prunes. Jusqu’ici, mon plouc n’a même pas eu besoin de sortir, son patron a pensé à tout : un quarteron de putes sur le retour a été convié aux réjouissances.

J’ai déjà lu cinq fois mon numéro de Stars du Ring et les confessions de Ricardo « Gunner » Sebastian. Les pages commencent à coller. Au dessus des immeubles, le ciel rosit. Encore un peu de patience et je vois mon ami le réceptionniste descendre du bus et m’adresser un signe de tête fugitif. Je commence à développer une certaine sympathie pour ce petit chauve bedonnant, mine de rien, c’est le seul visage humain que j’ai vu en trois nuits. Et voilà, affaire conclue. L’associé est parano, l’avocat s’est pas pointé et notre brave vendeur a profité pleinement des nuits d’Heaven Harbor.

Une preuve de plus que cette ville est magique. Je démarre l’Oldsmobile et je me dirige vers la colline.

De vieux amis…

Je monte tranquillement l’escalier quand je croise la jolie dactylo du second. Je lui adresse un sourire ravageur et elle détourne la tête. Sans doute mon imper, je savais que j’aurais dû passer au pressing. Pas grave. Direction le plumard. Je laisse tomber mes fringues sur le parquet et je me dirige pesamment vers la chambre.

Première connerie de la journée : j’allume pas la lumière et je suis pris au dépourvu quand je suis accueilli par une voix goguenarde.

- Salut, Mel ! En forme ?

Le lieutenant Marty Mc Enridge me gratifie d’un large sourire qui dévoile ses dents pourries. Tranquillement vautré dans mon fauteuil, il sirote mon Jack Daniel’s. Derrière lui, au garde à vous, un jeune et grand connard que je ne remets pas, dans un beau costume tout neuf sûrement choisi par sa maman. Et me tournant le dos, debout en contre-jour devant la fenêtre, ce bon vieux sergent Joe. Une montagne grise coincée dans un imper.

Ce qu’ils foutent là, je n’en ai pas la moindre idée. Je décide de la jouer décontracté.

- Depuis quand la police entre t’elle par effraction ?
- Hé relax, pépère. C’est juste une visite entre vieux amis, pas vrai. On est venus voir un ex collègue dont on n’a pas trop de nouvelles, pas vrai Joe ?

La montagne émet un grognement. Engageant. Elle se retourne. J’ai beau connaître Joe depuis dix ans, je me suis jamais tout à fait habitué à sa trogne de golem à la peau épaisse et grise. Le petit roquet de Mc Enridge ne se sépare pas de son sourire niais. L’envie de lui casser la gueule s’insinue sournoisement en moi.

- Qu’est ce que tu fous là Marty ? Je crois pas aux réunions d’anciens.
- On était inquiet, Mel, c’est tout. Personne ne savait où tu étais. Alors on a décidé de venir voir si tout allait bien.
- Ouaip, ça va bien. Tout roule. Alors bonne nuit. J’suis crevé.

Le crétin costumé ouvre la bouche :

- Ecoute, Osborne. Joue pas au plus malin avec nous. On te connaît, toi et tes combines.

Je continue mon numéro de mec à la cool.

- Hé petit, ferme ta gueule et va te sécher derrière les oreilles avant d’adresser la parole aux grandes personnes.

Le jeunot se remue la carcasse, et s’approche, un rictus au coin des lèvres, l’air de vouloir en découdre pour m’apprendre la vie. Pile ce que j’attendais. Je la joue tranquille près du guéridon, mais je serre mon jeu de clé dans mon poing. Encore deux pas et je lui refais les dents. C’est le moment que la Chose choisit pour se manifester, de sa voix rocailleuse.

- On arrête les conneries, Clay, et on recule. Laisse tomber, Mel, j’ai aucune envie de devoir t’emmener avec moi pour agression sur un policier.
- Ecoute ton vieux pote, Mel - en rajoute Mc Endridge. On est juste passés pour discuter, savoir ce que tu devenais. Ou tu étais ces trois derniers jours, hein ?
- Pas loin. En planque. En train de bosser.
- Hmmm… Pratique… - renifle le petit roquet. Nulle part et partout, quoi. Qui peut justifier de ça ?
- Mon employeur, tête de nœud.

Joe penche de côté son énorme tête :
- Tu cachetonnes toujours pour ce grippe sous de Ray ?
- Hé, Mec, on m’accuse de quoi exactement ?

Le lieutenant s’est redressé. Il sourit plus du tout et me lance un drôle de regard.

- Mais de rien, vieux. Je te le dis, on passait par là. Il est d’ailleurs l’heure qu’on y aille. Merci pour le verre.

Le roquet me gratifie d’un regard étudié, dans le style « toi, je t’ai bien calculé et t’es sur ma liste merdeuse ».

- Tu d’vrais faire le ménage plus souvent, Mel, ça pue ici.
- J’y penserais, Mac.

Mac Endridge et son roquet sortent. Joe me frôle au passage. Comme d’habitude, je me sens tout petit.

- Fais gaffe à toi, Mel.
- Toujours mec, tu me connais.
- Justement.

J’écoute le pas pesant du golem disparaître dans l’escalier. Mine de rien, ça me fait plaisir d’avoir revu ce vieux Joe. Je me rends compte soudainement que je suis vanné.

Deuxième connerie de la journée : je devrais me préoccuper un peu plus de cette visite et de ce qu’elle cache. Au lieu de ça, je récupère la bouteille entamée par Mac et je me pieute. Je m’endors après en avoir picolé la moitié.

Dominos

Je suis réveillé par le museau froid du .44 sur ma joue. A l’autre bout du canon, le roquet de Mac Endridge, un sourire mauvais aux lèvres. J’ai l’esprit embrouillé par l’alcool et je commets une dernière connerie, un sursaut pour me rapprocher du holster qui pend sur la chaise. Mais Dents de velours a prévu le coup et me colle un vilain coup de crosse derrière l’oreille. Je vois des étoiles et je me ramasse sur le parquet. L’enfoiré fait suivre un coup de pied sec, droit dans les côtes. J’ai compris le message et je me recroqueville sur le sol. Visiblement satisfait, il se marre. La voix de Joe résonne.

- Arrête tes conneries, Clay.
- Il a voulu résister, chef, vous êtes témoin ! croasse le roquet.
- Dégage de là, Clay.

Joe la Montagne bouscule sans ménagement le roquet qui manque de s’affaler sur la table. Avec son air puant de vainqueur, ce crétin s’éloigne. Plus loin, j’entrevois des uniformes bleus. Mac Endridge fait son numéro à l’entrée de mon appart. La descente des grands jours. Je passe une main dans mes cheveux et la retire chaude et gluante. Ce connard m’a quasiment arraché l’oreille gauche. Une main pierreuse m’attrape l’épaule et me fait asseoir sur le lit.

- Tu survivras, Mel.
- Ça t’est facile de dire ça, Joe, ça risque pas de t’arriver. Bordel, ce con m’a ouvert le crâne.

Mac Endridge interrompt nos papouilles.

- Debout connard, on t’emmène.
- Je peux savoir pourquoi ? Mon bourbon t’a rendu malade, Mac ?

Mais Mac ne rigole plus du tout. Là, je commence à me dire qu’y a un truc qui déconne sévère.

- Meurtre, Mel. Je t’embarque pour meurtre.

Lueur d’incompréhension. J’en oublie presque la douleur qui taraude mon crâne. Joe me fixe de ses yeux gris. J’en viens presque à imaginer que de la tristesse s’inscrit sur son visage massif et impassible.

- Meurtre ? De qui ?

C’est Joe qui répond, froid et dur comme la pierre :

- Pearl, Mel. Pearl est morte. Tu l’as tuée.

Ni Mac ni Joe n’ont l’air de rigoler de leur blague pourrie. Je mets quelques secondes à comprendre que tout est vrai. Juste assez pour que le roquet se rapproche, son grand sourire de con aux lèvres.

- Tu supportais plus qu’elle en suce d’autres, hein, champion ?

Ma tête part tout seule. Le roquet s’écroule avec un bruit sec, sa belle chemise trempée par le sang qui pisse de son pif écrasé. Je ne me réjouis même pas de le voir glapir, à quatre pattes sur le sol. Je ne sens même pas Joe me balayer les jambes et me tordre les bras dans le dos à les casser. Je n’arrive à penser qu’à une chose.

Pearl est morte.

Miss Octobre

Miss Octobre me fait les yeux doux. Des yeux jaunis, mais de jolis yeux quand même. Ça fait une paie qu’on s’est pas vu, elle et moi, alors j’en profite.

J’admire le galbe des jambes et la finesse de la taille, à peine gâchée par la trace des agrafes. C’est le moment que choisissent Mac Endridge et Joe pour entrer dans la salle d’interrogatoire. Sur le mur, Miss Octobre 1943 ne cille pas. Même pas un clin d’œil. Faut croire que je suis vraiment dans la merde.

Mac Endridge s’assied en face de moi. Il a l’air fatigué. Joe reste debout. Il n’a jamais l’air fatigué.

- Explique moi, Mel. Je comprends pas.
- Tu crois que je pige quelque chose ?

Mac secoue la tête.

- OK, tu veux jouer au con, c’est ton droit.
- Je ne joue à rien, Mac.

Mac ouvre son dossier marron et lit à voix haute :

- Pearl Parker. Succube. Naturalisée américaine le 22 février 45. Profession : escort-girl. Tu te souviens d’elle maintenant ?

Joe balance une série de clichés sur la table. De grandes photos. Des photos de Pearl. De ce qui reste de Pearl. Je sens la bile remonter dans ma gorge.

- Joue pas à ca, Joe. C’est pas moi. Tu sais que je l’aimais.

Joe me fixe et la honte m’envahit. Je repense à ce soir là, lorsque j’ai frappé Pearl. Si fort. Tellement fort que je l’aurais peut être tuée si Joe ne m’avait pas écrasé sous son poids. J’avais bu, naturellement. Comme si ça pouvait excuser quoi que ce soit. Il ne dit rien mais il me fixe. Je détourne le regard et je tombe sur Miss Octobre. J’ai encore une fois envie de vomir. Mac revient à la charge :

- Sa logeuse dit que tu t’es disputé avec elle il y a une semaine. Une scène violente elle dit. Des objets cassés, des cris et des pleurs. Et c’est pas la première fois, il paraît. Quelques jours plus tard, elle disparaît. Une de ses copines avertit Joe et on trouve son appart en souk. On te cherche et t’es nulle part. Aucune trace de vous deux. Ce matin, tu réapparais, avec ta tronche des mauvais jours. Et ce matin, on retrouve son corps dans une décharge de Remington Heights. Bordel, Mel !

Un moment, j’ai l’impression que Miss Octobre se fout de ma gueule.

- J’étais en planque, Mac. Appelle Ray.
- Joe l‘a eu au téléphone. Il dit qu’il ne t’a jamais confié d’enquête. Il dit que la dernière fois qu’il t’a vu, t’étais bizarre. Nerveux. Et bourré. Tu veux mon avis ? T’as pété un câble, Mel. Ca faisait longtemps que Pearl te menait en bateau. Entre nous, avec les filles comme elle, c’est pas étonnant. Elle a du te faire des trucs, tu sais, des machins qui rendent les mecs dingues de ces salopes. C’est ça, hein ?

Joe tique aux propos racistes de Mac. Presque comme si il disait que Pearl comptait moins que la dernière des putes d’Heaven Harbor. Je ne relève pas. Je sais que je me suis fait baiser. Ray m’a lâché. Avec un peu de chance, il m’a même piégé. Je sais au moins par où commencer.

Mac continue à disserter sur les soi-disant maléfices déployés par Pearl pour me faire tourner en bourrique. On croirait presque qu’il me cherche des excuses.

Joe tire la gueule et continue à me fixer. Je sais ce qu’il pense dans sa grosse caboche grise. Il essaie de se convaincre que c’est bien moi le coupable du meurtre de Pearl. Si c’est le cas, je vais passer les vingt prochaines années en tête à tête avec une quelconque miss Octobre punaisée sur le mur de ma cellule. Et si c’est le cas, il se dit que ce sera pas cher payé pour ce que Pearl a subi.

Je suis bien d’accord.

Une virée en ville

Je traverse le precinct comme dans un rêve. Les flics m’agonisent de leurs regards. Etre un flic pourri viré avec fracas deux ans plutôt, ce que j’étais jusqu’à ce matin, passe encore. Devenir un meurtrier, ça le fait déjà moins. Mais être un tueur de femmes, c’est définitivement la sale affaire. Certains se retournent, dégoûtés ou gênés. D’autres entretiennent un feu brûlant au fond des yeux et rêvent visiblement de me cracher au visage. Heaven Harbor’s finest.

Je me fous de leur avis comme de la première culotte de Miss Octobre.

Joe me pousse en avant, sans ménagement. Mac Endrige mène le train, le dos voûté. Je crois bien que cette histoire ne lui plaît pas beaucoup plus qu’à moi. Devant les portes vitrées du commissariat, le roquet triomphe, malgré l’énorme pansement qui lui barre la gueule. Mac tire sur les menottes qui le relient à moi, impatient d’en finir. On sort.

Dehors, il pleut. Une vague glacée me frappe le visage. Dans les tourbillons de pluie, les projos rouge des voitures pie font comme un ballet. J’entends cracher les radios. Au delà s’étend la Forbidden City, ses néons et sa musique. Joe s’avance pour faire signe à la voiture. Je garde la tête baissée. Mac se relâche. Le roquet se la joue cow-boy, la main sur la crosse de son arme. Joe ouvre la portière de la voiture. Mac baille. Je fonce.

Je chope Mac et je l’étrangle de mon bras menotté. Mon autre main saisit son flingue. Le roquet réagit vite, mais pas assez. Trop tard, mon bras est déjà parti et il reçoit le canon de l’arme en pleine tronche. Son pansement se colore à nouveau en rouge et il glapit. Je pousse Mac en avant. Joe s’est retourné. Il est en rogne et il lance sa carcasse vers moi. Je tire deux fois et la moitié de son visage gris disparaît sous l’impact. Ça le ralentit à peine. Je tente d’interposer Mac entre lui et moi. Le golem attrape mon bras de son énorme poigne de pierre et serre. Les os craquent et je hurle. Par réflexe, mon doigt écrase la gâchette. Joe prend une troisième balle en pleine carafe, au milieu de son énorme front couvert de cicatrices rituelles. Il vacille et relâche sa prise. Mac est en train d’étouffer. Je réussis à tirer un pruneau sur les menottes qui volent en éclats et le lieutenant s’écroule. Je commence à courir.

Personne n’a vraiment eu le temps de réagir. Les bleus en sont encore à sortir leur pétoire de leur holster lorsque je me faufile entre les bagnoles. Mon bras droit est inerte, j’ai lâché mon flingue sans même m’en rendre compte. Je dérape sur le sol glissant mais je me rattrape juste à temps. Derrière moi, on crie des ordres.

C’est le roquet qui m’épingle. Je ne pouvais pas savoir que ce con était un bon tireur. Je suis frappé dans le dos, juste sous l’omoplate. La douleur explose dans tout le haut de mon corps. Mais je ne m’arrête pas.

J’ai atteint le coin de la rue. Je m’enfonce dans la Forbidden City. J’entends hurler les sirènes. Mon sang trempe mon dos et se dilue dans la flotte qui noie le trottoir. Tout est flou. Je ne sais pas où je suis. Je tombe. Ça ne fait pas mal.

Je rêve de Pearl.

Pearl

Les draps rêches coulent le long de sa peau ambrée. Je me perds dans la toison fauve qui orne sa poitrine. Je respire à plein poumons. Son parfum à la fois fleuri et animal m’enveloppe et s’insinue dans chaque pore de ma peau.

Les bouts de ses seins caressent mon front. Ses doigts aux ongles effilés suivent le contour sinueux de la sale cicatrice de couteau qui orne mon dos. Comme à chaque fois, je frémis. Comme à chaque fois, elle rit, de ce rire à la fois rauque et cristallin qui me fait perdre la tête.

Je la sers contre moi à la briser. Comme si j’allais la perdre, comme si ce moment était le dernier. Mutine, elle se dégage. Me repousse. Toute pudeur oubliée, elle rejette les draps, se redresse et me toise avec insolence. Les perles de ses dents effleurent ses lèvres rouge sang. Ses yeux sans iris, noirs comme la nuit, me fixent et me forcent à baisser le regard. Elle sait qu’elle est belle à mourir et elle sait que je l’aime comme un fou.

Elle parle. Mais je ne comprends pas ce qu’elle dit. Le son est comme étouffé, comme trop lointain. Une vague d’inquiétude passe sur son visage. J’approche ma main pour lui caresser la joue mais sa peau est froide et humide. Sa peau coule sur mes doigts. Pearl a peur. Elle veut hurler mais aucun son ne sort plus de sa bouche. Seule une odeur de caveau s’en déverse. Autour de mes doigts, Pearl s’effrite.

L’hôtel des cœurs brisés

Ça fait un mal de chien. Mais la douleur, c’est bon signe : je suis encore vivant. Une odeur rance flotte dans l’air. Ma tête est pleine de sable. Je suis allongé sur un matelas qui pue l’urine. Y a des saletés de néons qui clignotent dehors, juste pour le plaisir d’aggraver mon mal de crâne. Je ne me souviens pas avoir jamais pris une cuite aussi violente. Tout vacille. Au travers de la brume qui flotte devant mes yeux, je vois quelqu’un se pencher sur moi. Miranda me sourit. Toujours la même trogne bouffie d’alcool, cigarette au coin de ses lèvres desséchées. Je sombre.

Lorsque j’ouvre de nouveau les yeux, les néons ont cessé leur vacarme visuel. Je les ai eu à l’usure, ces cons là. Je tente de me redresser et mon dos me punit immédiatement.

- C’est pas une bonne idée, Mel, croasse Miranda de sa voix de crécelle. Reste couché.

Elle dit rien de plus, elle attend. Je tourne la tête. Elle est assise dans un recoin, adossée au mur de plâtre moisi. Heartbreak Hotel, le trou le plus crasseux de toute la Forbidden City. Comment je suis arrivé ici ?

- Tu passes pas souvent me voir, hein, Mel ?

A nouveau le silence. J’ai pas grand chose à dire, après tout, tout doit s’étaler en première page du Harbor Chronicle à l’heure qu’il est. Même si je ne sais pas, précisément, quelle heure il est. Ni même quel jour.

- T’es resté trois jours dans les vappes, Mel, me balance Miranda.

Comment elle fait pour tomber juste à chaque fois, je sais pas. Mais je suis toujours aussi impressionné. Je suis sur que ça la fait marrer sous son vilain masque de sorcière. Elle se lève, et va se verser un godet de scotch. J’avais pas vu la bouteille sur le petit guéridon. Je donnerais un œil pour un verre.

- Ça te ferait pas de bien, Mel.

Elle est en verve ce soir, Miranda. Trois phrases d’affilée, c’est beaucoup. Du coup, elle prend son temps avant de reprendre. Je ne pourrais affirmer ne pas avoir tourné de l’œil deux ou trois fois en attendant. Mais là, elle lâche le morceau.

- Joe est passé ici, tu t’en doutes. Et il était furax, tu t’en doutes aussi.

Elle se rapproche de moi et me souffle sa fumée dans la tronche.

- Je lui ai dit que t’étais pas là. Il m’a pas cru mais il a pas insisté. Toujours un vrai gentleman sous sa tronche de pierre. Mieux élevé que toi, y a pas à dire. Tu sais pourquoi je lui ai pas dit que t’étais là ?

J’en savais foutre rien. Miranda part se rasseoir dans la pénombre.

- Parce que je voulais savoir si tu avais tué Pearl. Si c’était le cas, je t’aurais fait la peau moi-même, lentement. Peut être avec un de mes amis…

Je pense alors à la vieille cave humide de Miranda. Aux pentagrammes tracés au sol, à l’odeur entêtante des bougies qui réussissaient presque à couvrir celle des moisissures, à ce vieux mur de briques rouges disjointes qui semble suinter la malignité…

- Mais j’ai bien réfléchi, Mel. T’es une belle ordure, y a pas de doute, mais t’as pas pu faire ça. Je suis sûre que Joe le sait aussi. Il t’aime bien, tu sais. Jamais pu comprendre pourquoi mais c’est un fait, même si pour l’instant, il est sacrément en pétard contre toi, vu que tu lui as refait la moitié de la tronche.

Le silence revient. La douleur est sourde et palpitante, comme une déchirure qui n’arrêterait pas de s’agrandir. Bien. Elle entretient ma colère.

- Il faut que t’appelles Marvin, Miranda – ai je réussi à murmurer – il me faut des armes. Une bagnole et des armes. Je sais par où commencer, Miranda. Je vais les retrouver, qui qu’ils soient, et j’vais me les faire. Tous.

Miranda se lève et écrase sa clope sur le rebord de la chaise. Avant de sortir de la chambre miteuse, elle se tourne vers moi.

- Marvin est déjà au courant. Il te prépare un paquet cadeau. Mais pour l’instant, tu vas te reposer, Mel. Faut que tu reprennes des forces, que tu sois en forme. Parce qu’en effet, tu vas te les faire. Jusqu’au dernier…

Amen.

Visite de courtoisie

J’attrape Ray par le col au moment ou il retire sa clé de la serrure et je pousse comme une brute. Son pif s’écrase sur la porte et j’entends le craquement délicat des cartilages. Ça fait un bien fou. D’une main, l’autre soutenant Ray, je pousse la porte de sa planque minable. Je balance Ray sur le parquet et je referme derrière nous. Ray encaisse bien, faut le reconnaître. Malgré son pif en sang, il est déjà en train de se relever et de chercher son flingue dans son holster. Je le cueille d’un coup de pied dans les côtes. Là encore, ça craque. Pour faire bonne mesure, j’enchaîne. Le bout de ma grolle lui fait sauter deux dents et lui ouvre la lèvre supérieure jusqu’au nez. J’écrase sa main de mon talon et il hurle. Je ramasse son .38 avant de tirer Ray au milieu de la pièce. Pour le faire taire, je termine par un coup de pied direct au foie. Il se recroqueville et ferme sa gueule. Je m’assoie.

Ça n’a pas été si difficile de trouver Ray. Je me préparais à remuer Heaven Harbor de fond en comble mais c’était sans compter avec Miranda. Bien sur, il a fallu descendre dans sa cave. Là, comme à chaque fois, j’ai failli faire dans mon froc. Surtout quand le mur de briques a commencé à palpiter, exhalant une odeur de charogne. Le truc derrière le mur a dit qu’il pouvait retrouver Ray pour moi mais que ce ne serait pas gratuit. J’attendais le contrat avec les petits caractères mais Miranda a pris ça sur elle. Elle a dit qu’elle devait bien ça à Pearl. J’ai eu la très nette impression que le truc derrière le mur se marrait comme un tordu. Mais il a fait comme il a dit. Deux soirs plus tard, alors que je préparais l’arsenal fourni par Marvin, Miranda est venu me dire où créchait Ray. Elle avait sa tête des mauvais jours. Le renseignement avait du coûter cher. J’ai décampé, je suis monté dans la chevy et j’ai mis le cap sur Aisbury Park. Il m’a pas fallu longtemps pour repérer Ray. Ce con se planquait mais n’avait pas pu s’empêcher d’aller aux putes sur la cinquième.

A présent, Ray tremble sur le parquet. Je crois que mon dernier coup de pied lui a fait très mal. Tant mieux. C’est que le début. Ma colère est à présent un brasier, et il faudra beaucoup de sang pour l’éteindre. Pas sûr que le corps de Ray en contienne assez.

Ray commence à implorer, m’assure qu’il savait pas pour Pearl, qu’il a rien à voir avec sa mort et qu’il regrette. Tout le monde a des regrets, Ray. C’est la vie.

Bien plus tard, lorsque je lui fais finalement sauter la tête, Ray exhale un petit soupir.

Comme un soulagement.

Rencontre avec une montagne

Depuis le matin je carbure au scotch, histoire d’oublier la douleur qui me déchire en permanence l’épaule. Ça n’améliore pas mon humeur, ça la rend juste un peu plus nébuleuse. Quoi que je fasse, je la vois partout, dans chaque reflet, dans chaque putain de flaque d’eau. Je l’entends aussi. Je crois qu’elle est derrière moi, sur la banquette arrière. Le scotch atténue, c’est vrai. Mais pas assez…

La pluie dégouline sur le pare-brise. Je finis d’engloutir un taco, assis dans la bagnole, quand Joe se pointe au bout de la rue, impérial sous le fin rideau de flotte. Quand il s’approche, je remarque qu’il a la tronche raccommodée à la truelle et qu’il lui manque un gros morceau de front. Ça lui donne un air bizarre, comme une vénérable antiquité usée par le temps. Il monte dans la bagnole qui s’affaisse sous son poids. Il ne dit rien. Il est furax. Je lui balance direct :

- Avec ou sans toi j’y vais, mon pote.

Ça sonne bien mais ça tombe à plat. Joe hésite entre me coffrer, me démolir, me démolir et me coffrer ou écouter ce que j’ai à dire. Alors je déballe tout, histoire de faire pencher la balance du côté où je garde le visage que m’a donné ma mère.

Ray s’est accroché mais il a fini par parler. Il m’a raconté comment il m’avait piégé. Une affaire bidon, juste pour que je poireaute trois jours sans voir personne, le cul dans ma voiture. Il a été bien payé pour ça alors il ne s’est pas posé de questions. Surtout pas celle qui comptait : pourquoi ? Lorsqu’il a appris que Pearl y était passé et que j’étais le principal suspect, il a pigé qu’on m’avait piégé et qu’il pouvait bien être le prochain sur la liste. Et même si ses employeurs décidaient qu’il n’était pas un problème, je pouvais toujours sortir de tôle et chercher à le coincer. Il avait sacrément raison. Il s’est calté, histoire de rester en dehors du coup quelques temps. Comme j’ai insisté et qu’il continuait à tâcher son tapis, Ray m’a balancé obligeamment son employeur, un certain Gabriele Costanza. Je ne le connais même pas. Ray non plus, mais ça l’a pas empêché d’encaisser son fric et de me lâcher.

Je me suis renseigné sur Costanza. Un type bien, bon catholique, bon père de famille, respecté dans sa communauté. Tout pour plaire. Alors je suis allé cuisiner Costanza. Au propre comme au figuré. Ça s’est passé dans la cuisine de sa gargote de Little Italy. Bientôt, ça a senti le rital grillé et il a chanté comme un rossignol. Costanza bossait pour les frères Marsella, des truands notoires. Des petites choses, comme payer un privé pour qu’il balance un de ses collègues. Il ne connaissait pas Pearl et il ne sait pas pourquoi les Marsella lui ont fait la peau. Pour lui, ils « rendaient service à un ami ». Ça les a même fait rigoler quand ils lui ont demandé d’aller arroser Ray.

Joe est sceptique. Pearl n’avait jamais traîné avec ces crétins de la mafia. Elle gérait elle-même son business. En cas de coup dur, elle savait que moi ou Joe pouvions régler des ardoises. Et elle savait se défendre seule, qui plus est. Jamais elle n’avait traîné avec ces caves de Little Italy. Alors pourquoi ? Le seul moyen de le savoir, c’était de poser la question aux Marsella, tout simplement.

- Comme je te l’ai dit, Joe, avec ou sans toi… j’y vais.

Une petite partie

Je pousse la porte du Billiard’s Lounge, Joe sur mes talons. La fumée opacifie tout. La salle est pratiquement vide. Quelques habitués font le siège du bar et leur discussion d’alcooliques bruisse tranquillement, comme un bourdonnement d’insectes. Sentir Joe derrière moi est rassurant. Comme au bon vieux temps, quand je portais encore le badge d’Heaven Harbor. Quand je croyais encore que ça voulait dire quelque chose.

- J’espère que tu sais ce que tu fais, Mel…

J’espère aussi. Au fond de la grande salle de jeu, y a de l’activité autour d’une table. On s’en approche. Trois portes flingues nous dévisagent, s’attardant sur Joe. Normal, c’est la menace la plus évidente… L’énorme Guido Marsella tente de se persuader qu’il va vider la table. Il joue avec O’ Rourke, le comptable de la clique. Un irlandais à Little Italy. Marrant ça. Mais il paraît que Guido l’a à la bonne. Clementi, un gentil garçon bien nourri responsable du racket pour les Marsella, picole en commentant les coups du patron. Et accoudé au fond de la salle, hors du halo de lumière, se tient Renaldi, le tueur attitré de Guido, un playboy on ne peut plus dangereux

- Salut Guido - je balance, en essayant d’avoir l’air décontracté

Guido ne lève même pas la tête.

- J’ai pas l’honneur de te connaître, bonhomme. Qu’est ce que tu fous ici ?
- Je veux que tu me parles, Guido. D’une amie à moi que t’as torturée, flinguée et jetée comme une poubelle dans un terrain vague. Ça te dit quelque chose, gros porc ?

Guido se redresse et me dévisage comme si je débarquais de la lune. Il a pas l’habitude qu’on lui parle comme ça. Il a visiblement très envie de me fracasser sa queue de billard sur la gueule. Ses nervis se rapprochent de nous. Ils crèvent d’envie de montrer à leur boss qu’ils sont à la hauteur. Renaldi reste calme mais je suis sûr qu’il est prêt. Ce type me fout les jetons. Le comptable sent que la merde risque de voler bas alors il se fait tout petit. J’entends grincer la pierre : Joe serre les poings.

Je balance sur le tapis vert les photos de Pearl. Avant. Après. Guido les lorgne d’un œil dégoûté.

- J’ai aucune envie de t’écouter, pauvre con. Je connais pas cette petite pute et même si c’était le cas, je n’ai rien à te dire. Je suis de bonne humeur parce que je gagne. Alors profites-en et dégage avant que je ne change d’avis.
- C’est toi qui voit Guido. T’es chez toi. Mais avant de refuser de me parler, tu ferais bien de te demander comment va Romeo et où il passe sa soirée…

Il y a un sentiment d’incompréhension qui flotte autour de moi, pratiquement palpable. J’évite de regarder Joe parce que je sais qu’il va gravement faire la gueule de ne pas avoir été mis au courant. Guido jette un regard nerveux à Clementi qui se précipite vers le téléphone. Y a des éclairs de haine qui traversent le regard de Renaldi. Faudra que je pense à le flinguer, celui-là, parce qu’il m’oubliera pas. Clementi revient, les joues enflammées. Il chuchote à l’oreille de Guido.

- T’as une minute pour me dire où est mon frère, salopard et je t’accorderais une mort brève et raisonnablement douce.
- Te fatigue pas, Guido. Si tu me tues, il meurt. Il n’y a rien à négocier. C’est aussi simple que ça et tu le sais. Tu connais les règles, pas vrai ? Ca t’emmerde juste de te retrouver de l’autre côté, pour une fois. Je ne sais même pas où le psychopathe qui me sert de complice a emmené ton frangin. Dans une heure, on me voit vivant à un certain endroit et il le libère. Je n’y suis pas et il lui fait le grand jeu. Ta petite ordure de frère va hurler longtemps avant de mourir, Guido, et ta mère recevra les morceaux par courrier… Sauf si tu me parles. Maintenant.

Guido tremble de rage. Ca fait onduler ses bajoues Un instant, j’ai l’impression qu’il va faire une bêtise. Mais il se retient au dernier moment. Il prend entre ses doigts boudinés une des photos « avant » de Pearl.

- C’est toi qui a fait griller Costanza.

Ce n’est pas vraiment une question, alors je n’ai pas vraiment besoin de répondre.

- T’es déjà mort, Mel, tu sais ça ?
- Y a pas de soucis, Guido, je suis au courant. Je suis mort en même temps qu’elle.

L’épitaphe de Pearl

- C’est pour toi qu’elle l’a fait, Mel.

Je crois que je vais devenir dingue à me répéter cette phrase. Guido m’avait balancé ça avec un sourire carnassier.

- C’est rien qu’une connerie d’histoire d’amour, Mel. C’en est risible, non ? Elle repousse les déclarations énamourées d’un imbécile pour les beaux yeux de son privé raté qui pue l’alcool. Pour lui, elle envoie balader un sénateur, rien de moins. Pour toi, Mel, tu te rends comptes ? Toi, je sais pas, mais moi, qu’est ce que j’ai pu rire…

C’était forcément des conneries. C’était pas possible. Elle en avait rien à foutre de ma tronche. On venait de s’engueuler, de se jeter les pires ordures au visage. Je lui avais dit que je regretterais juste son cul, elle m’avait giflé et agoni d’insultes. Une de nos pires scènes. J’étais en rogne, j’avais cassé des trucs. J’avais bu, elle m’avait vu sous mon pire jour et j’avais lu le dégoût sur son visage. Et maintenant, il me faudrait croire que Pearl était morte en se disant amoureuse de moi ? C’est des conneries et c’est tout.

- Ce crétin de Huddelston fréquentait les petites soirées orgiaques de ses amis friqués de Remington Heights. Des trucs exotiques, façon Forbidden City, avec célébrations à la fécondité et je ne sais quelles simagrées. Des excuses pour tâter de la jeunette en bonne compagnie, oui. Et ta copine y faisait sensation, Mel. Une vraie tigresse. Elle apportait la touche sulfureuse, le côté “portes des enfers”. Elle savait y faire, y paraît. Ils y sont tous passés, juges, avocats, hommes d’affaires. Et va savoir pourquoi, Huddelston s’est accroché à elle. Comme un pauvre collégien. Amoureux, le voilà, notre sénateur. Aux chiottes Madame Huddleston, les enfants, les messes à la paroisse Saint Vincent et les discours enflammés sur nos valeurs qui s’écroulent. Amoureux d’une pute cornue ! Et il lui fait le grand jeu, dîner aux chandelles, vins fins et déclaration en bonne et due forme. T’y crois toi ? Et là voilà qui se marre d’abord, comme à une bonne blague. Il insiste, il se jette à ses genoux. Il lui agrippe sa robe, presque à la déchirer. Il chiale comme un gosse. Elle le repousse et là, bonhomme, elle lui parle de toi. Le grand Mel, son seul et unique amour. Il refuse d’y croire mais elle lui échappe. Alors il devient méchant. Il la frappe comme un dingue, comme si ça allait lui apprendre à l’aimer en retour, comme pour se l’approprier en marquant sa chair de ses poings. Il la frappe si fort qu’elle se relève pas. Crois-moi, on a bien rigolé quand son avoué nous a appelé pour qu’on arrange le coup. Mais quelque part, c’était pas si drôle : dire qu’elle est morte pour un cave comme toi, ça fout le bourdon, tu trouves pas ?

Des conneries, rien que des conneries. La pluie frappe le pare-brise et les phares des voitures qu’on croise font comme des arc en ciel. Je n’ai rien dit depuis qu’on est sorti de la salle de billard et que Joe s’est mis au volant. Des conneries. J’ai envie de vomir.

Joe râle pour Roméo. Il est pas content que je ne l’ai pas prévenu. Tout ça, c’est pour éviter d’aborder le vrai sujet. Joe se fout de Romeo, il connaît sa réputation de sale petit playboy déviant, de sadique incontrôlable qui a tailladé un paquet de filles et qui aime exécuter lui-même les condamnations de son grand frère, en binôme avec son copain Renaldi. Entendre râler Joe augmente ma nausée.

- Tu m’emmerdes Joe. T’en fais pas pour Roméo. Il est déjà mort.

Ça lui coupe la chique. Finalement, Joe dit :

- Mais cette histoire de complice et que tu devais…
- Des conneries, vieux, des conneries. A qui voulais-tu que je confie ce genre de job ? J’ai découpé moi-même ce petit con avant de te donner rendez-vous. Je l’ai chopé dans un de ses baisodromes, je l’ai emmené faire un tour dans la Forbidden City et je lui ai fait la peau. Fin de l’histoire.

Je ne regarde pas Joe, j’en ai pas la force. La bile me serre la gorge. Je refuse de croire à ces conneries, de croire que la seule épitaphe de Pearl sera celle d’un amour désespéré pour une merde comme moi. J’essaie de me recentrer sur ma haine. Sur Huddelston. Sur la façon dont il va mourir. Sur cette petite boule noire qui me tord le ventre et m’écrase le coeur.

Joe soupire. Il me dit :

- On a à peine une heure devant nous avant que Guido ne lâche ses chiens. S’il joue pas au con. Alors d’après toi, ou peut-on trouver un sénateur, un samedi soir ?

The End

Emmanuel Gharbi