Par Emmanuel Gharbi et Raphaël Andere
Bonjour à tous
Alors que nous travaillons d’arrache pied à la rédaction des derniers scénarios de la campagne d’Hellywood, « La justice des Anges », en vue de sa sortie à l’automne 2010 aux éditions John Doe, nous nous proposons de partager avec vous un petit journal relatant sa conception, son développement et - un jour - sa finition. Une sorte de making of.
Parmi les sujets que nous aborderons : le choix des thèmes, le défi de la continuité, la réflexion sur la forme, le délicat passage du synopsis au scénario final, les contraintes de fabrication… On commence aujourd’hui par les contraintes et les idées à la base de la campagne, ainsi que la mise à plat des thèmes sous-jacents.
Journal de campagne, Episode 1 – Principes fondateurs
Politique de gamme
Hellywood a, dès le départ, été prévu comme un jeu à gamme qui verrait le livre de base complété par d’autres ouvrages. Toutefois, certaines restrictions inhérentes à l’équipe et au mode de production ont été prises en compte pour aboutir à la gamme restreinte comme elle se dessine aujourd’hui avec l’adjonction de la campagne :
- Une équipe restreinte. Si nous avons été plus nombreux à travailler et tester longuement le système de jeu d’Hellywood, les parties Univers et Aventures ont été rédigées par deux personnes. Dans un souci de continuité (oui, bon, de pur égoïsme), les mêmes deux personnes ont pris en charge la rédaction des suppléments, d’où une disponibilité naturellement moindre et l’impossibilité de faire évoluer les suppléments en parallèle.
- Les contraintes économiques de l’éditeur, John Doe, dictée par une saine et raisonnable logique : perdre le minimum d’argent. Chaque ouvrage de la gamme n’est donc mis en branle que s’il a remboursé ses coûts de production.
Ces deux réalités ont donc façonné la gamme.
Le premier choix a été de présenter en détail la ville d’Heaven Harbor dès le livre de base afin que la description du décor principal du jeu ne soit pas repoussée à un futur supplément. Puis de faire suivre le livre de base par un écran offrant du matériel prêt à jouer.
Lorsqu’il a été décidé de publier ensuite une grande campagne, la question s’est posée d’en faire un supplément à part entière ou de la découper en épisodes accolés à des suppléments de contexte – comme cela a été fait, par exemple, pour Cops. Les réalités évoquées plus haut ont conduit à choisir la première option, pour ne pas courir deux grands risques : un délai trop important entre chaque épisode et une mort éventuelle en cours de publication en cas de gamme non rentable.
Pourquoi une grande campagne ?
Dès le début du projet Hellywood, il nous a paru évident de publier, après l’écran, une grande campagne. Et cela pour une foule de raisons, qui justifient l’investissement particulier que représente ce type de supplément.
Tout d’abord, cela n’a échappé à personne, le livre de base d’Hellywood ne contient pas de campagne, à l’inverse des jeux DOA tels que Final Frontier ou Patient 13. Et les premiers retours ont confirmé qu’il y avait là une attente de la part des MJ.
Ensuite, la présentation d’Heaven Harbor en faisait non un décor figé, intemporel, mais un monde en mouvement, où se profilent de multiples bouleversements. Seule une histoire ayant l’envergure d’une fresque ellroyenne pouvait en porter les enjeux.
Enfin, c’était tout simplement une envie de notre part. Hellywood est notre hommage à la littérature noire, et cette campagne se veut l’aboutissement de notre hommage aux maîtres du genre, d’Hammett à Ellroy. Au moment de nous lancer, nous savions que ce serait un exercice difficile et périlleux, mais nous savions aussi que le jeu en valait la chandelle. Et le moins qu’on puisse dire et que nous n’avons pas été déçus, ni dans un sens ni dans l’autre. Quant à la réussite de l’entreprise, ce sera à vous de juger, d’ici quelques mois.
Intrigues
Très bien, mais quelle histoire raconter, alors ? L’ambition affichée de la campagne nous a conduits à faire un choix qui allait augmenter exponentiellement la complexité de notre tâche : plutôt qu’une seule intrigue, nous allions entremêler trois histoires qui évolueraient et se croiseraient du premier au dernier épisode. Là encore, ce choix doit quelque chose à notre grand inspirateur en la matière, l’immense James Ellroy.
Pour définir ces intrigues, nous sommes repartis du livre de base d’Hellywood, qui se clôt sur une série d’éléments narratifs appelant développement. Si ces pistes ne seront pas toutes exploitées dans la campagne (elles resteront alors entre les mains du meneur pour développer ses propres arcs), ce qui sera effectivement au cœur de la campagne est bien annoncé, en toutes lettres, dans le livre de base. Il existe même d’autres indices disséminés dans le bouquin.
L’axe principal touche au plus près les personnages des joueurs. C’est un cauchemar éveillé, une descente aux enfers dont nous vous disons pas plus pour l’instant, si ce n’est qu’ils n’en ressortiront pas indemnes.
Nous avons ensuite développé un axe qui met en avant le fantastique d’Hellywood, à partir de certains éléments esquissés au début de la gamme. Ce qui était au départ une intrigue secondaire est devenu un axe à part entière, qui aura des répercussions explosives dans l’univers d’Hellywood.
Enfin, comme cela a été annoncé, ces axes viendront s’entremêler à un fil rouge : la campagne électorale d’Heaven Harbor, qui verra l’élection d’un nouveau maire début 1950. Il est prévu que les personnages aient la possibilité d’approcher réellement les enjeux politiques, voir de s’en mêler directement.
La plupart des PNJ importants décrits dans le livre de base seront impliqués dans l’un ou l’autre de ces axes et les personnages des joueurs auront l’occasion de les rencontrer, de les affronter et peut-être même de mettre un terme à leurs agissements…
Disposer des idées générales, c’est bien beau, mais encore fallait-il transformer ces axes en une trame cohérente et jouable, puisque le but est bien d’obtenir une intrigue interactive et pas une fiction « plate ». Le travail de conception à partir de ces idées, pour en tirer une structure exploitable et équilibrée, à été extrêmement long, et ne le cachons pas, extrêmement difficile, expliquant en partie - mais en partie seulement - le délai entre la sortie de l’écran et celle de la campagne. Nous aborderons dans un prochain épisode le boulot de mise en place de la continuité (quelles infos donner, à quel rythme, comment s’assurer que les personnages sont au cœur de l’intrigue et pas spectateurs, etc…) mais penchons nous pour l’instant sur la réflexion autour des thèmes.
Définition des thèmes
D’une certaine manière, les thèmes étaient plus ou moins prégnants puisqu’en filigrane des trois intrigues retenues pour la campagne. Après tout, qui dit « élection » pense, par exemple et surtout dans le cadre du Noir, « corruption ». Et il peut paraitre saugrenu d’avoir passé du temps à travailler les thèmes de la campagne alors que ses intrigues étaient déjà posées.
En fait, ce boulot, s’il a effectivement ralenti la production, a été un énorme apport de cohérence et de profondeur. Poser clairement les thèmes sous-jacents a ainsi permis d’élaguer certaines branches des intrigues, finalement trop éloignées des intentions. Cela a aussi permis de décider de certains événements, d’aider à la sélection des décors et des personnages non joueurs, de mieux définir certaines réactions de ces mêmes pnj. Enfin, les thèmes ont été des guides très précis en terme de construction d’ambiance.
Bien sûr, une campagne de jeu de rôle n’a pas vocation à délivrer de quelconque message. Il ne s’agit aucunement de dégager une morale ou un point de vue sociétal. Mais savoir clairement de quoi l’on veut parler permet de poser le socle nécessaire à l’épanouissement d’intrigues qui, de par leur nature, auraient pu partir dans des directions très diverses.
Et donc, quels seront les thèmes au cœur de « La Justice des Anges » ? Ils sont au nombre de trois :
- Tout d’abord, le poids du passé. On ne peut s’en défaire et il contamine nos actes présents. La plupart du temps caché, car monstrueux, il s’infiltre et resurgit avant d’éclater au grand jour. Quoi que l’on fasse, il faudra bien finir par le regarder en face…
- Ensuite, le pouvoir de corruption de l’argent. Evident dans le cadre de la campagne électorale, mais pas seulement. Heaven Harbor est plein de gens dévorés par leur avidité et prêts à toutes les compromissions et les bassesses pour la satisfaire.
- Enfin, les liens ténus entre Justice et Vengeance. Où est la limite à ne pas franchir ? Quand finit-on de chercher la justice pour ne plus chercher que la vengeance ?
Les inspirations
Finissons pour aujourd’hui avec les principales inspirations de la campagne.
Comme on l’a déjà dit, la longueur temporelle de « La Justice des Anges » et l’intrication de plusieurs intrigues se résolvant ensemble est un hommage appuyé, en toute humilité, à notre maître, James Ellroy. Bien sûr, ne serait-ce qu’approcher le génie de construction du Dogue est un vœu pieux, un graal inaccessible.
Autre grosse inspiration, Dennis Lehane et la sensibilité de sa série « Kenzie – Gennaro » ou de « Mystic River ».
A l’intérieur de chaque épisode, ensuite, on retrouvera d’autres influences. Nous avons essayé de varier les genres et les ambiances, il a même été prévu un « murder mistery » à la Agatha Christie ou un hommage aux « road movies ». Mais à chaque fois dans une version déviante, noire, en un mot : hellywoodienne…
A bientôt pour un second épisode.
Emmanuel et Raphaël