[Document] L’affaire du Dahlia noir - Steven Hodel, 2005

Le meurtre du Dahlia noir, de son vrai non Elizabeth Short, est l’un des assassinats les plus connus.

Toujours “officiellement” irrésolu, c’est même une sorte de mythe à Los Angeles, de par sa brutalité et la personnalité de la victime. Entre autres, il a servi de base au roman “Le Dahlia noir” de James Ellroy, par lequel il commence son fameux quator de Los Angeles, 4 romans détaillant la vie du LAPD des années 40 à 60. Roman récemment porté à l’écran par Brian de Palma. Mais on en a aussi tiré un téléfilm et des monceaux de reportages et livres.

Celui-ci a été écrit par Steven Hodel, inspecteur à la retraite du LAPD, et l’un des plus brillants si l’on en croit ses états de service à l’Homicide. En l’ouvrant, je me suis dit, un mec de plus à la retraite qui va reprendre l’affaire, gloser sur les pistes connues ou pas et voilà, emballé c’est pesé, ça fera bien quelques ventes. Sauf que je me suis planté…

- Attention Spoilers gros comme ça –

Ce n’est pas l’ennui de sa retraite, ou l’envie de gagner quelques pesetas qui poussent Hodel à rouvrir le dossier. En 1999, son père, George Hodel, décède. Il ne l’a que très peu connu, depuis 1950, son père s’était établi à l’étranger, après avoir quitté sa femme (enfin sa troisième femme) et ses trois fils. Il y vit des larges revenus des entreprises qu’il a créé. Depuis, il ne l’avait vu qu’épisodiquement. En rangeant des affaires personelles, il découvre un petit album de photos contenant de vieux clichés. Il s’y voit gamin, ainsi que ses frères ou d’autres connaissances. Mais il y trouvent aussi deux clichés d’une belle inconnue brune… Hodel est vite persuadé que cette jeune fille n’est autre que Beth Short, le fameux Dahlia, photographiée par son père avant sa mort tragique…

Forcément, Hodel se pose très vite la question fatidique. Et si son père était le fameux tueur ? Après tout, on a toujours supposé, au vu des incisions sur le cadavre (notamment très proprement sectionné en deux au milieu du torse), que le tueur avait de solides connaissances médicales. Or, le père d’Hodel était médecin, chirurgien même. Hodel ouvre la boite de Pandore de sa vie familiale décousue, et y découvre notamment que son père avait été acquitté (de justesse) en 1949 d’une accusation de viol contre sa propre fille de 14 ans. Que les parties fines étaient fréquentes dans sa belle demeure d’Hollywood, ou se croisaient le photographe Man Ray ou le cinéaste John Huston. Qu’il faisait très vraisemblablement partie d’un réseau d’avortement illégal. Qu’il a peut être tué, en faisant passer la mort pour un suicide, sa secrétaire qui “en savait trop”.

Patiemment, Steven Hodel reconstitue le cas, apporte les preuves, de plus en plus irréfutables. Le livre est publié en 2001. Les langues se délient et d’autres éléments à charge apparaissent, qui sont en annexe dans le présent ouvrage, traduction de la réédition en 2004. Officiellement le LAPD considère l’affaire toujours irrésolue. Officieusement, de nombreux officiels se disent “convaincus”, à commencer par un très respecté adjoint au D.A à la retraite, notamment chargé à l’époque de l’affaire Manson, qui n’auraient pas “hésité à aller au tribunal pour meurtre avec un dossier pareil” (rappellons qu’aux USA, les policiers doivent “convaincre” le procureur d’aller au procès sur la base de leur dossier et de leurs preuves).

Au final, il en sort quoi de ce livre ?

Difficile de trancher : je suis de connaître suffisamment le dossier pour cela. Hodel s’est-il laissé emporter ? On dit qu’il éclipse volontiers les preuves à décharge… Il n’en reste pas moins le portrait terrible (qu’il soit fantasmé ou pas) d’un implacable tueur en série, le propre père de l’auteur, un homme cultivé, musicien très doué dès son plus jeune âge. En compagnie d’un complice, il aurait tué plus d’une dizaine de femmes, dont le Dahlia, avant de fuir les USA en 1950. L’auteur fait le lien avec des nombreux crimes inexpliqués de la même époque. Le complice d’Hodel aurait ensuite continué ses oeuvres seul, et serait notamment le “basané” ayant tué la mère de James Ellroy, dont celui-ci a retrouvé la trace dans son livre-enquête “Ma part d’ombre”.

Ensuite, la description du L.A de la fin des années 40, avec un réalisme cru qui pourra directement alimenter Hellywood, croyez moi ! Lien entre la pègre et les milieux artistiques et mondains, travail et compromission des flics…

Enfin, la dernière bombe lâchée par Hodel : le LAPD savait ! Et aurait couvert George Hodel. Un véritable “dahlia-gate” comme dit l’auteur. Là encore, les preuves sont troublantes : pièces à conviction qui disparaissent, dossier expurgés, flics mutés lorsqu’ils s’approchent trop du bon docteur d’Hollywood… la totale. Des légendes du LAPD, comme le chef Parker (l’immeuble du LAPD, le Parker Center, est baptisé d’après son nom), sont écornés. Notamment parce qu’il avait avorté et/ou soigné pour maladies vénériennes stars, officiels, leurs maîtresses ou prostituées, et qu’il avait des dossiers sur tout le monde, George Hodel était protégé.

Bref, ce bouquin est assez dingue. D’abord parceque l’auteur met à jour le passé de son propre père, qu’il admirait malgré ses absences. Ensuite parce qu’il est difficile de mettre en cause ses conclusions (encore moins après l’ouverture de certains dossiers en 2004, prouvant que le Dr George Hodel était bien le suspect n°1 de la police en 1950). Enfin, parce qu’entre autre choses, Steven Hodel “réhabilite” Elizabeth Short. Comme il le dit, on a d’elle l’image d’une fille facile, peut-être même une prostituée, qui pour certains bien-pensants “n’a eu que ce qu’elle méritait”. Le portrait qu’il en trace est bien plus mesuré, c’est avant tout celle d’une jeune femme rêveuse, un peu à la dérive, broyée par un monstre…

Dernier point, ludique celui-là. Pour Hellywood (et d’autres jeux bien sur), ce bouquin est une mine : on y voit bosser, côte à côte, flics et reporters de Los Angeles. On a des célébrités mouillées, des flics corrompus, des politiciens véreux, des gangsters (petite apparition notamment de Mickey Cohen) et au milieu de ça, des victimes sacrifiées.

On dort pas si bien que ça après avoir lu ce bouquin…