Cher ami lecteur,
Afin d’inaugurer notre nouvelle rubrique retraçant les affaires criminelles les plus sordides ayant secoué notre bonne ville d’Heaven Harbor ces dernières années, j’aimerais que tu te souviennes de cet insoutenable été 1946. Ce n’est pas si loin, pas vrai, ami lecteur ? Tu dois encore avoir en mémoire cette chaleur infernale, à faire fondre l’asphalte. Soleil de plomb et pas un souffle de vent. Aucun moyen de se rafraîchir. Même la nuit, le mercure ne descend pas. Collé aux draps moites, impossible de dormir. La fatigue s’accumule. De quoi avoir le cerveau en ébullition. De quoi devenir dingue.
C’est ce qui est arrivé à ce brave Jerry Wetcomb.
Jerry est un type bien. Sympathique, discret, serviable diront ses voisins. Jerry est comptable. Il travaille pour un atelier de confection sur Century Boulevard. Calme, travailleur et sérieux dira son patron. Jerry, c’est ce genre de type qu’on croise mais qu’on ne voit pas. Tranquille, effacé, quasiment transparent. De toute sa vie, il n’a jamais récolté une seule contravention. Le citoyen modèle. Même avec cette terrible canicule, Jerry fait son boulot avec application, sans se plaindre. N’empêche, la chaleur est si insoutenable en cet après-midi du 17 août 1946 que le patron décide de fermer l’entrepôt pour le reste de la journée. Jerry est libre de rentrer chez lui.
Lorsqu’il pousse la porte du domicile familial, un appartement simple mais coquet de Carnelly Hill, Jerry sent tout de suite que quelque chose ne va pas. Visiblement consignés là par maman, les deux fils de Jerry jouent sur l’échelle d’incendie. Attiré par les gémissements, Jerry entre dans la chambre à coucher et découvre sa femme Barbara, emmêlée dans les draps mouillés avec un autre homme. Pas n’importe qui : c’est avec le frère de Jerry, Martin, que Madame joue à cache-la-grosse-bête.
OK, sa femme couche avec un autre. Qu’un type comme Jerry soit cocufié par sa bourgeoise, ça ne surprendra personne, hein ? Pas même lui, sans doute. OK, avec son propre frère. Bah, au moins, ça ne sort pas la famille, pas vrai ? Jerry étant Jerry, il ne fait pas de drame. Il reste calme et tourne les talons, laissant Madame et P’tit frère gamberger pour trouver une explication qui tienne la route.
Jerry ne va pas s’enfiler un petit scotch au bar du coin : il ne boit jamais. Il ne se rend pas chez un ami, histoire de s’épancher sur son infortune maritale : Jerry n’a pas d’amis. Il se contente d’ouvrir la malle de sa Buick modèle 41 et d’en sortir une large clé à molette avant de remonter à son appartement.
Là haut, Martin a remis son pantalon et Barbara prépare un café, prête à une explication entre adultes responsables. Mais Jerry est aux abonnés absents. Il s’approche de son frère et lui assène un terrible coup de clé à molette au visage. Martin s’effondre au sol et Jerry entreprend alors de lui défoncer le crâne à coups redoublés, répandant la matière cervicale sur le tapis du salon. Barbara reste pétrifiée devant son fourneau. Abandonnant la clé à molette dans la boîte crânienne de Martin, Jerry se redresse et s’approche d’elle. Il se saisit d’un couteau de cuisine et la frappe à son tour. C’est là qu’elle commence à hurler mais Jerry la fait vite taire en la poignardant à plus de soixante reprises.
Couvert de sang, Jerry souffle un moment avant d’aller chercher l’automatique de Barbara dans la table de nuit. Une jolie petite arme à crosse nacrée, achetée pour rassurer sa femme effrayée par la violence d’Heaven Harbor. Absorbé par leur lecture des aventures de Superman, les gosses sur l’échelle d’incendie n’ont rien remarqué. Jerry passe le haut du torse par la fenêtre à crémaillère de la cuisine et abat simplement les trois gosses, ses deux fils et leur copain du second étage.
Jerry se rend alors compte qu’on tambourine à sa porte. Alerté par le bruit, sans se douter du drame en cours, le sympathique voisin du dessus, M. Billy Hartmore, veut simplement savoir si tout va bien. Jerry ouvre la porte et le feu, tuant Hartmore d’une balle en plein visage. La vieille dame qui habite sur le même palier que Jerry referme brusquement la porte qu’elle avait entrouverte pour s’enquérir de toute cette agitation. Jerry tire plusieurs balles au jugé au travers du bois. Mme Bonsella en réceptionne deux dans le dos et expire sur son paillasson. Jerry tire encore sur les voisins qui se sont précipités dans l’escalier, en tuant un et en blessant deux. Tout étant enfin calme, Jerry rentre chez lui et s’installe sur son fauteuil préféré.
C’est là que le trouveront les policiers, tranquillement installé pour écouter le Barney Davenport Show. Aux inspecteurs du HHPD, il dira simplement « qu’il a vu rouge mais que c’est fini maintenant ». Il avait même soigneusement rangé l’automatique dans la table de nuit de Barbara. Il ne fit aucune difficulté pour suivre les agents.
L’affaire connut un ultime rebondissement lors du procès. Expérimentant une technique de défense jusque là inédite, Harvey Billings, l’avocat de Jerry, déclara que son client n’avait pas été maître de ses actes, manipulé qu’il était par une conscience surnaturelle vindicative. Après tout, personne ne peut vraiment dire ce qui s’est passé lors du jour des cendres mais il est difficile de nier son aspect surnaturel. Ici, chez Whispers, on s’est même demandé pourquoi personne n’y avait pensé avant. Bien joué, Harvey ! Tu as lancé là une mode qui a toujours pas mal de succès aujourd’hui. Mais le petit tour de passe-passe de l’avocat ne sauva pas Jerry de la chaise électrique. Il grilla le 6 mars 1947, au petit matin. Durant toute sa détention, Jerry fut un prisonnier modèle.
Il faut dire qu’il fait toujours frais au pénitencier de White Falls…
Ami lecteur, à très bientôt pour de nouvelles affaires saignantes et rappelle toi : uniquement dans Whispers !
Ton dévoué, Harvey Weimbaugh